LE PARTENARIAT TECHNOLOGIQUE IBM - BULL 

 

Quelle croissance pour les groupes industriels à l'heure actuelle ? Les stratégies développées jusqu'à présent, internes ou externes, visent une croissance du patrimoine (développement des moyens de fabrication, rachat d'unités de production...) ou une augmentation de la puissance financière grâce à des prises de participations. Dans les deux cas, il s'agit d'une croissance par "internalisation" (en terme de propriété) des moyens de cette croissance. Il semble qu'une forme différente de croissance soit en train de naître "appellée croissance contractuelle" et que Baudry définit par "des accords entre firmes juridiquement indépendantes". Des relations nouvelles appelées partenariales, se créent entre sociétés et prennent des formes diverses: contrats de recherche en commun, contrats de sous-traitance dont le cahier des charges s'alourdit en matière d'engagement sur la qualité, franchises, joint-ventures... L'exemple du secteur informatique est révélateur à ce sujet : la presse ne cesse d'annoncer de nouveaux accords de coopération entre des firmes qui apparaissaient pourtant comme de farouches concurrents. Ce nouveau type de croissance répond à des exigences stratégiques de la part des entreprises. Leur propre performance va dépendre de celle des relations qu'elles auront su mettre en place.

Dans une relation de coopération, le gain espéré ou réalisé apparaît en aval de la chaîne de coopération. Mais il peut résulter d'investissements réalisés en amont. Toute la relation partenariale s'appuie sur la possibilité de convaincre le maillon à coopérer, ceci en partageant les bénéfices du travail en commun. Mais comment mesurer ceux-ci ? Comment les partager ? Cette réflexion s'articule autour de trois questions :

    - Pourquoi établir une relation partenariale ou plusieurs ? Pourquoi le partenariat ? Ce qui renverra aux notions de prise de décision et de stratégie.

    - Comment contrôler le respect des engagements pris?

    - Quelle performance pour la relation partenariale ?

L'étude théorique sera construite autour de trois voies de recherche:

    - la définition et l'analyse du concept de coopération,

    - l'étude du management de la relation partenariale : de la décision stratégique à la gestion de la relation,

    - et enfin, la proposition d'axes de réflexion pour appréhender la notion de contrôle dans la relation partenariale.

En limitant notre champ d'étude au secteur industriel de la construction informatique, nous terminerons par la mise en place d'un contrat de partenariat de complémentarité entre une société A et une société B en matière d'échange de service de conception contre la production de biens, distribués ensuite par les deux partenaires !

 

I. LE CONCEPT DE COOPERATION INDUSTRIELLE
        A. L'EMERGENCE DU CONCEPT DE COOPERATION:

Il semble difficile d'identifier quel a été le père, l'initiateur de l'étude des réseaux partenariaux. Des recherches sur ce sujet ont vu le jour tant aux Etats-Unis, qu'en Europe et au Japon. Elles pouvaient concerner l'étude des relations entre membres d'un même réseau de distribution, les relations de pouvoir et les problèmes de contrôle des grands réseaux industriels, ou les processus d'internationalisation, à savoir : "comment les entreprises s'organisent-elles pour atteindre des marchés extérieurs ?" Il faut souligner également que la notion de partenariat n'a pas été étudiée du seul point de vue des entreprises mais également du côté des collectivités locales, des organisations à buts non lucratifs.

       

    1. La définition du terme.
    2. En France, le terme de coopération n'est pas le seul employé et nous voyons fleurir dans la littérature les mots " réseau ", " alliance ", " entente ", " partenariat ", voire même "coalition". Pourtant, tous ne possèdent pas la même signification. L'alliance est une union contractée par engagement mutuel, et le partenaire est la personne avec laquelle on s'est allié. La coalition, elle, signifie réunion momentanée de puissances, partis ou personnes, dans la poursuite d'un intérêt commun, selon le Petit Robert. On voit ici émerger les notions : d'union, d'objectif, de but commun, de durabilité ou non de l'union.

      La coopération, possède un sens plus large : "action de participer à une oeuvre commune". F. VALVERDE distingue deux formes de coopérations : l'entente et l'alliance-coopération selon deux critères qualifiés de "philosophique" et "économique". L'entente aurait selon lui, un objectif à connotation négative ("nous ne baisserons pas nos prix en-dessous de tel niveau"), qui ne prend pas en compte l'intérêt du client et qui souvent, reste secrète. Ainsi, l'entente peut-elle être rendue illégale par les Pouvoirs Publics. En revanche, l'alliance-coopération a "un objectif" positif "d'action" (fabrication d'un produit, réalisation d'un projet d'études, commercialisation commune...), qui doit permettre des améliorations d'où des conséquences profitables pour le client, et qui est annoncé publiquement.

      Se dégage alors ici une idée : d'action, réalisation, d'amélioration par rapport à une situation sans coopération. Dès lors on peut déterminer les 4 objectifs à moyen et court terme de la coopération : la diminution concertée des coûts, l’optimisation des équipements, l’amélioration des performances du produits (telles sa qualité), le partage des risques et des opportunités économiques (trouver des avantages réciproques, partager des gains de productivité).

       

    3. Une base contractuelle nécessaire.
    4. Parrallèlement à la théorie du réseau, on trouve la théorie de l'agence qui propose une vision économique du fonctionnement des organisations. Il y a relation d'agence quand un agent, appelé principal ou mandant, délègue tout ou partie de son pouvoir de décision à un autre agent, dénommé mandataire. D'une façon générale, la théorie de l'agence a été étendue à toutes les relations de coopération qui s'établissent entre 2 partenaires.

      La base même de la théorie est le contrat. Cette dernière souligne les comportements opportunistes des contractants, et l'incertitude dans laquelle ils agissent : incertitude à la conclusion du contrat et incertitude vis-à-vis de sa réalisation. La théorie de l'agence va donc s'intéresser aux coûts du contrôle que chaque contractant doit mettre en oeuvre pour s'assurer de la fiabilité de son partenaire.

      Cette théorie recherche à : faire apparaître les principaux contrats qui structurent l'organisation, saisir les éléments qui composent le processus de décision, identifier les structures de contrôle qui permettront de minimiser les coûts de la négociation du projet et les coûts de transaction.

       

    5. La compatibilité partenariat et concurrence.
    6. Les entreprises, dans une approche économique traditionnelle sont considérées comme concurrentes. Les prix qui se forment sur le marché sont le fait de la mise en présence d'unités productrices indépendantes et de consommateurs qui le sont tout autant. Tout regroupement, "entente", coopération entre producteurs apparaît comme perturbateur et brise l'équilibre initial. C'est pourquoi, les trusts et cartels ont toujours suscité une attention particulière de la part des gouvernements. En effet, si le principe de la concurrence, de la compétition entre les entreprises reste la base de notre monde économique, il faut admettre des situations différentes où les concurrents deviennent partenaires.

      La relation de concurrence est remplacée par le contrôle des ressources. Le développement des relations partenariales permet de domestiquer le marché. On verrait donc se créer des "quasi-marchés" à l'intérieur desquels la concurrence ne jouerait plus. Elle s'exprimerait vis-à-vis des autres réseaux. Toutefois, il convient de remarquer que la concurrence intra-réseau n'aurait pas disparue. Le marché n'est pas complètement domestiqué, des niches existent sur lesquelles les entreprises demeurent en compétition. La disparition de la concurrence aboutirait à une bureaucratisation complète de l'économie. Faut-il donc comprendre le partenariat comme une réduction de la concurrence par stabilisation de l'environnement ? Ou l'alliance avec un concurrent est-elle une forme de concurrence visant à neutraliser le concurrent-partenaire ?

       

    7. Les 4 éléments constitutifs de la relation de coopération industrielle.
      1.  

      2. l'orientation mutuelle: ce point est important car il touche à la notion de communauté d'objectifs. La relation partenariale suppose un objectif commun, ce qui permet un contrôle sur la réalisation de celui-ci.
      3.  

      4. la dépendance de chacun: cette notion fait référence aux questions de pouvoir et par conséquent de contrôle. Une façon d'appréhender la relation partenariale consiste à évaluer les rapports de forces et les possibilités d'alternatives permettant la modification de ces derniers.
      5.  

      6. la nature et l'intensité des engagements mutuels: les engagements peuvent être difficilement rompus, néanmoins, il peut exister des problèmes de mesure de l'intensité de la relation. La nature des engagements peut être économique, sociale, logistique, technique, administrative, informationnelle, légale et temporelle.
      7.  

      8. l'investissement réalisé par chaque partenaire du réseau : il concerne les ressources, matérielles ou humaines qu'il faut mettre en oeuvre dans le cadre de la relation, pour assurer dans le futur la réalisation des objectifs du contrat. Certains auteurs concluent à ce sujet sur la difficulté de séparer coûts d'investissement et coûts "récurrents" de fonctionnement.

      Un des éléments importants de la relation est l'état d'esprit dans lequel elle est menée, l'atmosphère dans laquelle elle baigne. Mais cette question a été peu traitée jusqu'à présent.

       

    8. Du point de vue des entreprises.

      Sont à identifier dans la relation firme / coopération : l'entrée dans le réseau, la sortie du réseau, la protection des positions acquises dans le réseau, la modification de ces positions. Ces quatre axes expriment la dynamique des réseaux.

      On voit apparaître ici les notions de barrières à l'entrée et à la sortie, relative à la planification stratégique. Toute entrée ou sortie du réseau, ou même tout changement de position d'un seul partenaire a pour conséquence un repositionnement des autres participants par rapport à lui.

      La perspective stratégique de la mise en place de la relation partenariale sera approfondie dans la seconde partie. La question fondamentale reste tout de même liée à la compréhension des causes qui motivent entrée, sortie, comportements de défense ou modifications des positions.

       

      LA THESE DE M.PORTER:

      Il fonde ses travaux sur la notion d'avantage concurrentiel. Pour "analyser les sources de l'avantage concurrentiel, il est indispensable d'examiner de façon systématique toutes les activités qu'exerce une firme et leurs interactions. L'instrument fondamental pour y parvenir est la chaîne de la valeur. La chaîne de la valeur décompose la firme en activités pertinentes au plan de la stratégie, dans le but de comprendre le comportement des coûts et de saisir les sources existantes et potentielles de différenciation". M.Porter nous propose donc une modélisation de l'entreprise fondée sur l'enchaînement des activités créatrices de valeur. M. Porter emploie le terme de "coalition" pour définir "les accords à long terme entre firmes qui vont au-delà des transactions courantes, mais qui restent en-deçà d'une fusion pure et simple". Cet auteur se place donc au niveau des contrats de partenariat.

      Il distingue deux types de coalitions cohérentes avec son analyse de la chaîne des valeurs : la coalition verticale : dans le cas de contrats passés avec une entreprise indépendante chargée de réaliser des activités créatrices de valeur. la coalition horizontale : dans le cas d'associations pour la réalisation d'une activité en commun.

      L’ANALYSE DE DUSSAUGE et GARETTE:

      Structuration, concurrence et symétrie.

      P.DUSSAUGE et B.GARETTE proposent un modèle d'interprétation des alliances fondé sur trois dimensions : la "dimension organisationnelle" qui indique le niveau de structuration de la relation, du simple accord à la formation d'une joint-venture structurée; la "dimension concurrentielle" qui distingue les alliances "précompétitives" des "alliances "anti-compétitives"; la dimension "symétrie" qui rend compte de l'équilibre ou du déséquilibre des positions entre partenaires.

      L'analyse d'un échantillon de 200 alliances, a conduit les auteurs à la classification des alliances en trois types dont les caractéristiques sont présentées dans le tableau présentée en annexes. Cette typologie présente l'intérêt de superposer 3 dimensions, et elle s'inscrit dans la seule perspective stratégique de l'entreprise.

      Examinons les prémices d’un accord de coopération très médiatisé entre deux groupes agissant sur un marché extrêmement concurrentiel, l'informatique.

       

      B. LA COOPERATION INDUSTRIELLE IBM / BULL :

      IBM et BULL respectivement 1er et 13ème constructeurs informatiques mondiaux ont conclu un accord technologique et industriel, qui a suscité de nombreuses interrogations au sein de l'entreprise française. En effet, l'informatique française s'est construite en partie contre la toute puissance d'IBM dans les années 60-70. Les administrations ont soutenu BULL dans cette démarche. L'état d'esprit chez BULL était donc peu favorable à IBM. La direction a donc entrepris une politique de communication pour expliquer les bases du travail commun à réaliser entre les deux groupes. Le message est clair : l'accord conclu est un accord technologique qui ne remet absolument pas en cause la concurrence entre les deux sociétés au niveau commercial. Enfin, l'annonce sur le marché de la conclusion de l'accord IBM/BULL a entraîné des réactions non contrôlées et des incompréhensions (BULL s'engagerait-elle dans la voie d'une absorption par IBM ?), dont les concurrents ont cherché à profiter, les commerciaux d'IBM les premiers.

      Donc, partenariat et concurrence ne se neutralisent absolument pas. Chaque partenaire garde son identité et n'agit qu'en fonction des termes du contrat et non au-delà.

    1. Les enjeux stratégiques du contrat de partenariat dans le secteur informatique.

Selon M. Porter, il existe sur le marché 5 forces concurrentielles: les concurrents sur le marché, les clients, les fournisseurs, les entrants potentiels et les produits de substitution. L'étude d'un secteur permet d'identifier les raisons du choix stratégique de la solution partenariale. Pour ceci, il est nécessaire de comprendre quelles ont été les stratégies des constructeurs mises en oeuvre précédemment.

Pendant les 10 dernières années, le jeu stratégique des constructeurs s'est articulé autour de deux groupes :

       

    1. les puissances installées dont la stratégie a consisté à rendre le marché captif en développant des produits appelés "propriétaire", c’est à dire en rendant incompatible ses matériels produits avec le matériel des concurrents ou voire les matériels de la même marque mais dans des gammes différentes. Rapidement s'est posé le problème de la normalisation des machines et des systèmes d'exploitation. L'enjeu de la normalisation est hautement stratégique car le constructeur qui réussit à imposer sa norme possède un avantage concurrentiel décisif. Parmi les puissance installées pratiquant la logique propriétaire durant les années 70 et 80, se trouvent IBM, et Bull.
    2.  

    3. les nouveaux entrants : qui, avec une innovation technologique spécifique se portent sur des créneaux précis (stratégie de focalisation). Pour eux, trois approches stratégiques : profiter de la base captive d'un autre en jouant sur la compatibilité ou en distribuant leurs produits à travers le réseau d'un constructeur établi (NEC à travers Bull, Stratus à travers IBM); profiter de l'inertie que crée la base captive du concurrent; développer le concept de compatibilité entre matériels.
      • Le secteur informatique est marqué par une forte innovation ; ce qui implique, en termes financiers une allocation de ressources toujours plus considérable sur la Recherche-Développement. En moyenne, les constructeurs mondiaux consacrent plus de 7 % de leur chiffre d'affaires en R&D. Corollairement, la course à la performance technologique entraîne une fuite en avant sur la baisse des tarifs, dont l'effet se fait sentir sur la profitabilité. La nature des clients du secteur évolue. Les grands comptes publics, face à des restrictions budgétaires, sont plus frileux. La micro-informatique a fait son apparition. Nous pouvons donc constater une modification des zones de pouvoir décisionnel en matière d'achat informatique. L'homme de pouvoir dans la décision d'achat est de moins en moins l'Informaticien, expert, mais de plus en plus l'utilisateur du micro-ordinateur. Enfin, les clients expriment un besoin de compatibilité entre les matériels.

      • Enfin il convient de constater que dans le domaine de la construction informatique, le secteur est en face: d'une décroissance des ressources à allouer (érosion de la profitabilité), de besoins grandissants : en nouveaux produits, peut-être moins performants technologiquement en ce qui concerne le matériel mais plus adaptés au besoin du client et compatibles et en produits externes : service, logiciel, maintenance, qui impliquent aussi l'acquisition de compétences nouvelles.

      • Les nouveaux enjeux stratégiques s'expriment ainsi : renverser la logique propriétaire pour la logique standard, développer de nouvelles compétences, adapter la production aux nouvelles fonctionnalités du matériel, ceci avec des moyens qui se réduisent.

En dressant ce rapide tableau de la situation du secteur informatique, c'est pour comprendre les options stratégiques développées par les constructeurs depuis 10 ans. Le ralentissement de la croissance du secteur informatique industriel a entraîné restructurations et exclusions. Des stratégies d'implantation à l'étranger ont été mise en oeuvre pour élargir le marché au niveau international. Les gammes de produits ont été étendues suite à des accords entre constructeurs.

Le ralentissement de la croissance a provoqué dans un premier temps des stratégies : de croissance externe : acquisition, fusion/absorption des activités informatiques de concurrents, de mise en oeuvre de contrats de distribution, mais nous ne sommes pas encore au stade du partenariat.

Les stratégies de croissance externe peuvent être lues à travers l'évolution des capitaux propres et des effectifs des sociétés. Bull en est un exemple avec l'acquisition en 1987 de la branche informatique d'Honeywell et l'achat de Zenith en 1990. C’est l’illustration de la croissance patrimoniale: acquisition d'unités de production.

Aujourd'hui, nous voyons apparaître une nouvelle forme de croissance : la croissance "contractuelle".

Le secteur informatique est un exemple parlant de l'engouement pour ce type de croissance, mais nous devons nuancer notre propos. La stratégie de coopération n'est pas la seule présente à l'esprit des managers du secteur. Il ne faut pas croire que les différents types de stratégie, croissance interne/ croissance externe patrimoniale/ croissance financière et maintenant croissance contractuelle sont des options qui ont été retenues linéairement au cours de la décennie. La mise en place de partenariat n'est pas incompatible avec une stratégie de croissance financière. Par exemple, IBM a conclu un accord de coopération avec Bull, mais a également pris une participation dans le capital de cette société, à hauteur de 5 % environ. Et enfin, seule une étude approfondie des conditions contractuelles des accords passés dernièrement entre les sociétés informatiques et qualifiés de "partenariat" nous apprendrait s'il s'agit de réels engagements de coopération.

     

  1. Pourquoi cet engouement pour le partenariat ?
  2. Il apparaît que la motivation profonde au développement du partenariat est née de la nécessité du partage des ressources. Il faut "s'unir pour dépenser moins" Nous sommes dans une perspective de réduction des coûts de transaction, à travers un partage des réseaux de distribution, la mise en commun d'équipements.

    La coopération peut être perçue comme une réduction de l'incertitude. Profiter du réseau de distribution du partenaire permet une vision plus large, une connaissance plus étendue du marché. Dans le cadre de l'accord cité en annexe, entre les sociétés A et B, la réduction de l'incertitude, pour la société B, se trouve au niveau de l'engagement formel de la part de A de commander 15000 machines dans les deux prochaines années. La charge de l'unité de production B est assurée.

    Si nous résumons les causes, les raisons qui incitent les entreprises à s'allier, telles qu'elles ont été décrites par P.DUSSAUGE et B.GARETTE, nous trouvons : la réduction de l'incertitude existant sur les activités de la firme, la recherche de synergie par combinaison des activités des sociétés partenaires, la réduction de leurs "coûts de transaction".

    La stratégie précède donc l'action. Le décideur établit sa stratégie de coopération avant de choisir entre les différents partenaires possibles et de la mettre en oeuvre. Nous pouvons nous demander cependant dans quelle mesure la décision de coopération n'est pas le résultat des événements, d'une situation défavorable à gérer. De plus, si l'un des partenaires agit rationnellement et bâtit sa stratégie, l'autre peut être amené à profiter de l'opportunité de la coopération au moment où une société le contacte en vue d'une alliance. Il construit sa stratégie alors, a posteriori. Etudions à présent le processus de prise de décision dans le contexte partenarial : au niveau de la décision initiale (étude des buts) au niveau de la prise de décision pendant la relation.

     

  3. La décision d’engagement d’une relation de coopération industrielle.

      Le processus de décision possède deux dimensions : la croyance en l'existence d'une relation cause-effet (telle cause implique tel effet), la préférence au niveau des résultats possibles.  

      4 types de stratégies se dégagent : une stratégie calculée ("je sais ce que je veux et je crois savoir sur quelles variables jouer pour obtenir le résultat"), une stratégie "au jugement" (mauvaise connaissance des liens causes-effets mais certitude sur les résultats désirés), une stratégie "à l'inspiration" dans le cadre d'incertitude sur les résultats et sur les relations causes-effets, une stratégie de compromis (incertitude sur les préférences au regard des résultats mais connaissance des liens causes-effets (imaginaire ou non).

      Pour le cas IBM/BULL, un des partenaires a pu réaliser le raisonnement suivant. Les résultats financiers de BULL ne lui permettaient pas de faire face de front à une restructuration interne pourtant anticipée par rapport aux concurrents afin de permettre le développement d’un nouveau projet. En allant chercher un partenaire qui participera à l'élaboration de produits standards qu’ils pourraient fabriquer grâce à notre capacité de production, et qu'il pourra distribuer par l'intermédiaire de son réseau commercial.

      Deux partenaires potentiels se sont présentés : IBM et Hewlett-Packard. Leurs propositions respectives ont donné lieu à de multiples simulations en terme de coûts à engager, de volumes de production prévisibles, de chiffre d'affaires estimé, de charge productive supplémentaire...

      Dans le cadre de l'accord IBM/BULL, bien évidemment, les calculs économiques des retombées d'un contrat de partenariat avec l'un des concurrents ont été évalués par les équipes financières de chaque fonction concernée et présentés aux dirigeants pour les aider dans leur prise de décision. Cependant, dans quelle mesure les simulations réalisées (qui ont demandé une dépense d'énergie importante) ne servent-elles pas à étayer une décision déjà prise et surtout à prouver la pertinence de la décision vis à vis de tiers (l'Etat dans le cadre de Bull) ?

      En effet, Bull est une société particulière en raison du poids de l'Etat dans la prise de décision. Elle est le cheval de bataille de l'informatique française. L'Etat y est majoritaire et toute décision stratégique doit être approuvée par lui. Une telle situation déplace le problème. La décision s'inscrit au niveau de la Politique Industrielle du pays.

      Cet exemple nous montre que sont indissociables, au niveau des grands groupes, Alliances et Politiques Industrielles. Le pouvoir de l'Etat français sur Bull est évident mais il ne faut pas croire hâtivement que les autres Etats n'engagent pas auprès de leurs grandes sociétés privées des actions afin d'élaborer de réelles politiques industrielles nationales.

      L'intervention de l'Etat, quel que soit le pays, se traduisait jusqu'à présent, soit par un actionnariat très fort de sa part, soit, de façon plus générale, par l'octroi de subventions en principe liées à des programmes de recherche, soit enfin, par le maintien d'un marché réservé pa rapports aux administrations. La nécessité de conserver une indépendance en matière de technologies de l'information, à des fins militaires et économiques, incite les Etats à contrôler les alliances mises en place par les entreprises. La dépendance d'une entreprise s'exprime de deux façons: dépendance vis à vis des actionnaires majoritaires (pouvoir et contrôle classiques), dépendance vis à vis des fournisseurs de produits et de technologies ou de capacité productive et compétence commerciale.

      Ainsi, on peut constater que le fait de calculer différents scenarii est une preuve flagrante de l'incertitude dans laquelle nage le décideur. Le partenariat est l'illustration d'une stratégie possible des entreprises qui peut s'exprimer vis à vis de ses clients, de ses fournisseurs, de ses concurrents, et même vis à vis des entreprises positionnées sur d'autres marchés.

       

II. LES EFFETS DE LA COOPERATION INDUSTRIELLE

      A. LES QUESTIONS A SE POSER POUR ENTAMER UNE COOPERATION.

          I. Par rapport au partenaire :

1) avec qui avez-vous engagé une relation partenariale ?

2) taille du partenaire ?

3) localisation géographique ?

4) activités, métier du partenaire ?

5) segments stratégiques du partenaire ?

6) quelle partie de l'organisation du partenaire est impliquée dans la relation ?

          II. Nature du contrat :

7) quel type de contrat a été conclu ? (joint-venture...?)

8) quelles sont les modalités du contrat (engagements, pénalités...)

          III. Perspective stratégique :

9) quel est l'objectif du partenariat mis en place pour vous ?

10) aviez-vous envisagé d'autres entreprises comme partenaires ?

11) pourquoi avez-vous choisi cette entreprise pour conclure un accord de partenariat ?

          IV. Implications de la relation sur l'organisation :

12) avez-vous mis en place une organisation spécifique dans le cadre de la relation partenariale ?

13) quel est le personnel concerné par le partenariat dans votre entreprise ?

14) sa compétence ?

15) taille des équipes impliquées ?

16) position hiérarchique ?

          V. Le contrôle de la performance du partenariat :

      en terme de coûts :

17) existe-t'il un suivi des coûts particuliers de la relation partenariale ?

18) si non, pensez-vous en mettre un en place ?

      en terme de profitabilité :

19) quel est le gain attendu ou reçu grâce à la mise en place du contrat de partenariat ? (ce gain peut être exprimé en termes techniques, commerciaux, "qualité"...)

20) pouvez-vous l'estimer précisément (en milliers, millions de francs ...) ?

          VI. L'implication du personnel :

21) quels sont les critères de performance du personnel impliqué ?

22) à qui l'équipe ou la personne impliquées rendent-elles des comptes ? (dans l'organisation et vis à vis du partenaire)

          VII. Qualité de la relation :

23) quels sont vos rapports avec vos partenaires ?

24) les délais de réalisation sont-ils tenus ? ou plus généralement les engagements sont-ils respectés ?

25) si non, pourquoi ?

26) vos partenaires vous semblent-ils "coopératifs" ?

      B. LES EFFETS SUR LES ACTEURS DE LA RELATION.

    1. Du point de vue des entreprises.
    2. Le contrat de coopération apparaît comme un "projet" et semble nécessiter une gestion transversale. Or, toutes les organisations ne connaissent pas forcément ce type de structuration horizontale. La mise en place du contrat peut modifier les modes de fonctionnement.

      Par ailleurs, la conclusion d'un accord de coopération n'est pas neutre sur le comportement du personnel et nécessite un contrôle de l'information diffusée.

      En effet, l'annonce de la conclusion d'une alliance peut produire une certaine confusion dans l'esprit des employés. Comment se positionner dans une organisation à laquelle nous adhérons en terme d'objectifs poursuivis, mais qui s'allie avec une autre organisation dont les buts ne semblent pas compatibles avec les nôtres ?

      Le contrôle de la relation commence donc par un contrôle de l'information à diffuser et le contrôle de l'efficacité de la communication. Un partenariat n'est pas une fusion, même si l'une des parties possède beaucoup plus de pouvoir que l'autre.

      Il est donc urgent, dès la conclusion du contrat de manager, de maîtriser ses relations avec ses clients et ses fournisseurs par une bonne communication des points de la coopération qui peuvent les concerner.

       

    3. Le contrôle de la relation coopérante.
    4. LE CONTROLE DES OBJECTIFS.

      La mise en oeuvre du partenariat s'inscrit dans un objectif à long terme de chaque entreprise participante. Cet objectif se décline en terme de lancement d'un nouveau produit pour telle date, de production de telle gamme de biens, de distribution de x milliers de machines via le réseau commercial commun... Parallèlement des coûts sont engagés. Aussi, vérifier si les objectifs sont atteints est nécessaire économiquement.

      Toute mesure suppose donc que des objectifs ont été fixés, pour l'entreprise elle-même et pour l'unité partenariale. Le premier contrôle consiste à s'assurer que les objectifs de l'entité correspondent à ceux de l'entreprise. Ce contrôle nécessite d'être réalisé périodiquement afin d'éviter les risques d'autonomisation de l'entité partenariale (dans le cadre des grands projets de recherche-développement par exemple).

      Les objectifs sont néanmoins difficiles à définir. Les accords de partenariat ne cernent pas systématiquement tous les contours de la coopération, comme dans l'exemple des sociétés A et B citées en annexe, qui signeront un amendement à leur contrat sur les objectifs Qualité de leur relation.

      Les objectifs s'expriment en termes de :

      1) délai : dans le cadre de la joint-venture des sociétés A et B, A doit avoir commandé 15000 machines avant que deux années ne s'écoulent...

      2) qualité.

      3) prix (cf cas des sociétés A et B), ou d'une manière plus générale, en terme de profitabilité.


      Le contrôle du respect des délais semble rester sans effets dans beaucoup de relations de coopération, même lorsque le demandeur est particulièrement plus puissant que le partenaire qui ne respecte pas les engagements. Face à la défaillance du partenaire, les possibilités d'actions correctives de la part de l'entreprise restent faibles. Il semblerait que la mise en place de la relation partenariale, comme nous l'avons déjà évoqué, viserait un "auto-contrôle" par la confiance acquise sur le long terme.


      LE CONTROLE DES COMPORTEMENTS.

      La performance à contrôler concerne la relation partenariale mais aussi les hommes qui la mettent concrètement en oeuvre. Si on schématise les directions stratégiques des partenaires, nous voyons que les objectifs individuels vont subir des pressions. Le personnel doit gérer sa performance dans le cadre du partenariat mais aussi dans le cadre de son organisation de rattachement.

      De plus, les acteurs ne connaissent pas forcément les mêmes méthodes de mesure de performance dans chaque entreprise. Les modes de management peuvent différer. Une réflexion menée conjointement avec le partenaire, sur la motivation du personnel impliqué dans la relation est peut-être nécessaire au bon fonctionnement du partenariat.

      Dans le cadre d'une relation partenariale, il est difficile de parler de partage de valeurs : il faut avoir déterminé les buts; il faut "qu'ils ne soient pas exclusivement économiques, mais susceptibles de rencontrer le système de valeurs des membres de l'entreprise,"; il faut pour penser long terme que les employés offrent l’assurance d'être encore présents dans l'organisation sur cet horizon; il faut qu'ils "aient envie de rester".

      Un contrôle par les valeurs, la culture, semble hasardeux. La question qui demeure fondamentale dans la problématique du contrôle du partenariat reste la question de la cohérence des objectifs.

       

      LES MOYENS DE CONTROLE :

      Le but visé est de s'assurer du respect de la stratégie par les acteurs de la relation, y compris le partenaire. Le contrôle de gestion traditionnel est-il en mesure de saisir la relation partenariale?

      1. le contrôle par la structuration de la relation.
      2. La structuration prend des formes différentes suivant la nature des contrats et l'importance des sociétés actrices. La taille est donc à prendre en compte dans la structuration de la relation. Dans le cadre de l'accord entre les entreprises A et B, les organisations en cause sont plus petites ; aucune structure spécifique n'a été mise en place. On a donc des personnes chargées de tâches diverses dans l'entreprise, qui assurent la conduite de la relation partenariale. Elles ont à faire face à des priorités, donc des choix.

        Dans ce cas il est vital de positionner la coopération comme stratégique pour l'entreprise. Les objectifs doivent être hiérarchisés. La non-structuration de la relation partenariale dans l'entreprise B est due à la légèreté de la structure d'encadrement qui ne permet pas de dédier une personne, et encore moins une équipe à la gestion de la coopération. Mais on notera que c'est le P.D.G de B qui nommément prend la responsabilité du projet.

      3. le contrôle par la communication.
      4. Le contrôle exercé ici s'effectue par une bonne communication. Les rencontres périodiques sont une démonstration de l'intérêt porté par un des partenaires au travail de l'autre. Une pression est maintenue et les problèmes sont soulevés et traités de concert.

        Qui dit communication dit langage. La communauté de langage est fondée sur des connaissances partagées de faits, d'événements, de règles de fonctionnement. La connaissance partagée est double : il s'agit d'une connaissance des mêmes faits et aussi la même connaissance de ces faits. Ceci outrepasse un simple problème de langue (langue nationale, ou étrangère) utilisée pour la communication dans le partenariat. La communication traite de l'échange d'information de manière générale.

      5. le contrôle par les hommes et la compétence.

      La réussite de la coopération semble reposer beaucoup sur les hommes qui la managent et qui y participent de façon générale. Il apparaît que certaines qualités ou compétences soient nécessaires : un talent de négociateur, une capacité à résoudre ou "à faire résoudre" (ce qui implique une compréhension) des problèmes de natures diverses, techniques, relationnelles... donc une polyvalence, une capacité à juger le travail du partenaire d'un point de vue technique quel que soit le domaine (donc à la fois expertise et polyvalence), une capacité à gérer les conflits d'intérêts, une capacité d'écoute.

      Les qualités mentionnées ci-dessus correspondent en fait à tout métier de "coordinateur" que la coordination soit interne ou externe. L'efficacité de la relation repose sur les hommes.

      Enfin, la confiance, avant de s'installer entre les organisations, s'établit entre des humains et est engendrée par la durée de la relation. Donc tout remplacement brusque et hâtif du responsable du projet dans l'une des entreprises déstabilise la relation et détruit des liens. Le choix du responsable du projet de coopération est donc crucial.

    5. Traduction du pré-accord de partenariat signé entre l’entreprise A et l’entreprise B.

      A et B sont d'accord pour former une joint-venture dans le but de vendre la machine Ht conçue par A.

      A fournira la Technologie et B la capacité de Production.

      Les deux partenaires s'efforceront de vendre et promouvoir le produit, à travers leurs canaux de distribution respectifs et A, pour sa part, se propose de commander 15000 unités minimum à B d'ici deux ans.

      On considère que le prix cible de 5000 francs peut être atteint au début en combinant les efforts de A et de B en matière d'approvisionnement, et ce prix sera utilisé pour la production en phase d'industrialisation.

      Néanmoins, des actions en terme de réduction de coûts, grâce aux méthodes de conception et de fabrication développées, devront être menées par chacune des parties afin d'atteindre un prix hors usine de 4500 francs ou mieux.

      Le coût de l'outillage sera remboursé à B à travers un supplément de prix par unité, ceci jusqu'à la livraison de 15000 unités. Après 15000 unités, le coût unitaire sera réduit du montant de ce supplément.

      Les machines vendues par B supporteront le coût d'une redevance technologique vis à vis de A, à travers le paiement d'un droit de licence de 100 francs par unité pour les 15000 premières machines que B vendra, et ensuite, de 10 % du prix hors usine.

      Si les 15000 unités ne sont pas vendues d'ici deux ans, A est d'accord pour aider à supporter les charges financières restantes relatives à l'investissement en outillage.

      Si le projet est annulé par A avant que les 15000 unités ne soient vendues, sans que la responsabilité de B soit mise en cause, A remboursera B du montant de l'investissement initial en outillage non amorti au moment de l'annulation.A fournira à B un programme roulant de production fondé sur les meilleures informations disponibles sur le marché et étayé par toute précision fournie par le réseau de distribution. La première commande, à livraison en mars, sera émise avant fin janvier.

      Dès la signature de cet accord, A fournira dans un délai de 3 semaines, les plans, les schémas des cartes électroniques, les dessins techniques et toute information nécessaire à la production de la machine.

      A travaillera avec B à la mise en oeuvre des réductions de coûts, afin d'atteindre les chiffres cibles.

      A supervisera la fabrication des outillages s'ils sont produits en France.

      A débutera une compagne de publicité et de relations publiques afin de promouvoir le produit, sachant que la production s'effectuera dans la société B.

      B commencera la fabrication des outillages.

      Les deux parties sont d'accord pour annoncer le produit à la fin de mars 1992 et pour avoir des prototypes disponibles pour l'exposition professionnelle internationale X 1992.

      Un accord "Qualité" sera conclu immédiatement par les deux parties.

      Les autres détails commerciaux seront discutés et approuvés durant les six prochaines semaines et ajoutés au présent contrat sous forme d'avenants.

          Signé par :

          Le P.D.G de B. Le Directeur Général de A.

          Le Responsable Le Responsable

          "Recherche de Marchés" de B. "Conception" de A.