LA NOBLESSE

 

I. Le particularisme nobiliaire.

1.     Le statut juridique.

Le statut se traduit par la notion de privilèges au sein de privata-lex. Classiquement on différencie les privilèges des droits publics et ceux de droits privés, on distingue également les privilèges dits utiles de ceux dits honorifiques. 

Parmi les privilèges de droit public, se trouvent d’abord le privilège fiscal de noblesse. Les nobles sont exemptés de tous les impôts quels qu’ils soient et cette exemption concerne tout le foyer fiscal. L’exemption pour la taille concerne en France que les régions dites de taille personnelle où l’on tient compte de la condition de la personne. Dans les pays de taille réelle, on tient compte du statut de la terre, c'est à dire que pour tout fief d’une tenure noble, la personne titulaire ne paiera pas la taille. Mais si un noble a dans son patrimoine des terres roturières, pour celles-ci il paiera l’impôt, c’est le second cas. 

Il existe aussi des privilèges judiciaires ! Dans la traditions, les jugements de nobles se font par leurs pairs. De plus, ils bénéficient d’un délai de comparution plus long que les roturiers qui en général est de15 jours. De plus, les peines sont différentes : la peine de mort est la pendaison pour les roturiers, la décapitation pour les nobles. Mais de façon générale, le taux des amendes est plus élevé pour les nobles que pour les roturiers car on considère qu’ils doivent montrer l’exemple. 

Parmi les privilèges de droit privé, au Moyen Age il y a un recul de l’âge de la majorité pour les nobles car le mineur fait l’objet de protection au 17e siècle. Cette règle est dépassée car on tient compte de la majorité du droit romain qui est de 25 ans. Ce qui reste, ce sont les règles de succession et notamment les règles de masculinité et d’aînesse qui sont les règles de succession nobles. Le cinq de garde noble est dévolue à un mineur. La femme noble peut éviter de supporter la dette de succession. 

2.     Le genre de vie.

Les hommes doivent en principe se livrer à l’activité noble c'est à dire le service de Dieu dans le clergé, et le service du Roi dans la carrière militaire. Dans la réalité noble, c’est un droit, un devoir et un honneur. Or il faut tenir compte du système des offices de l’achat du grade. Donc les petits nobles n’ayant pas de relations sont souvent dans la carrière militaire aux grades de sous lieutenant, lieutenant et exceptionnellement capitaine. 

Au 18e, 25% de la noblesse ne peut espérer ni carrière civile, ni carrière militaire honorable, ils sont donc contraints d’occuper des postes subalternes, de cultiver leur terres s’ils en ont, de gérer leur domaine, de se livrer à des activités agronomiques. Au Moyen Age on considérait ses activités comme incompatibles avec l’état de noblesse, c’est la question de la dérogeante. 

Au Moyen Age, le commerce, le maniement de l’argent sont incompatibles avec l’idéologie nobiliaire, suspicion de l’Eglise par rapport à l’argent qui corrompt. Au 18e, cela change, et les récentes études montrent que la noblesse a participé rapidement à des activités productrices tel le commerce, les investissements financiers dans le secteur industriel. 

Le commerce n’est plus interdit à la noblesse depuis Colbert qui était ministre de Louis XIV de 1661 à 1683 et de nombreuses décisions royales, des édits visant à encourager les nobles, à se lancer dans les activités commerciales à condition qu’il s’agisse de commerce en gros, le détail reste interdit. Des affaires célèbres sur l’utilisation frauduleuse par les nobles d’intermédiaires pour faire du commerce au détail. Ainsi un arrêt du Roi de 1757 prévoit que chaque année le Roi anoblira deux négociants en gros se distinguant dans la profession.

La noblesse participe aussi au commerce maritime, dans les ports bretons et de Nantes, il y a une ampleur de mouvements qui sont la conjonction de trois éléments : une forte tradition locale, une présence en Bretagne d’une noblesse étrangère orientée dans ce type d’activité, et la participation des officiers de finance à ce commerce maritime. On y trouve une forte proportion de nobles parmi les armateurs de navire et surtout après la liquidation de la communauté des Indes. Puis ce commerce s’oriente vers la Chine. Il se crée de grandes sociétés par actif comme la Compagnie de Commerce du Nord dans la Baltique et la Mer du Nord, la Compagnie de Guyane en 1776 qui s’oriente vers l’approvisionnement des troupes de Guyane et d’Afrique, la traite des noirs, l’œuvre coloniale, le peuplement et la mise en valeur de la Cayenne.

Elle participe également officiellement à des entreprises de spéculation foncière surtout à Paris : ils achètent en gros des terrains en ayant recours à des capitaux marchands pour les revendre en détail avec un bénéfice. La haute noblesse ne craint pas les associations de banquiers, fermiers, généraux. 

Enfin, elle s’occupe aussi d’activités manufacturières c'est à dire des sociétés d’actionnaires associant de gros capitaux et des hommes de l’art ayant des techniques nouvelles. On peut citer les manufactures des glaces de Saint Gobain qui est détenue par la grande noblesse dès 1750 et une entreprise de distribution de l’eau de la Seine. De plus la plupart des mines sont détenues par la noblesse telle la mine d’Anzin. 

L’essor énergétique et métallurgique met fin à l’ancien régime et à la noblesse. Il y a concentration de capitaux géographique de main d’œuvre et d’utilisation d’une technologie de pointe. La famille de Wendel des Flandres est l’une des plus connues. Elle est maître des forges et connaît au 18e siècle une ascension fulgurante.

Au 19e siècle la noblesse s’oriente vers des activités de production industrielle massive, c’est l’évolution d’un état d’esprit. 

3.     Les singularités 

Ce sont des marques honorifiques montrant à tous l’appartenance à l’ordre de la noblesse : le droit à l’épée, le droit d’avoir des armoiries timbrées, surmontées d’un casque ou d’une couronne, le droit de tourelle et colombier, le droit de chasse, le droit d’avoir un banc particulier à l’Eglise et de communier le premier. Ce dernier droit est le lien le plus solide de l’unité entre les membres de la noblesse. 

Au sein même de la noblesse, on la différencie selon son ancienneté : si elle remonte à 4 générations, c’est une noblesse de race, si elle est antérieure à 1500, c’est une noblesse d’ancienne extraction, si elle est antérieure à 1400, c’est une noblesse présentée, c'est à dire présentée au roi. Si elle remonte de plus loin, c’est une noblesse immémoriale. 

II.    Les diversités nobiliaires. 

La notion d’ordre cache mal l’extrême diversité de situation matérielle entre les membres de la noblesse du fait de la diversité de fortune et de la catégorie de noblesse : noblesse ancienne ou noblesse des “ anoblis ”. 

1.     Les voies de l’anoblissement au 18ème siècle.

Au Moyen Age, les sources de la noblesse sont nombreuses : naissance, mariage, entrée dans la chevalerie, acquisition de fiefs. A l’époque moderne, elle peut se faire par l’exercice de certaines fonctions grâce à l’anoblissement de charge et par le fait du prince. 

a.     Les charges.

Certaines charges anoblissent au premier degré, c'est à dire que les titulaires vont bénéficier de la noblesse de charge tels le personnel des grandes juridictions comme le parlement de Paris, Flandres, Grenoble, et le conseil supérieur d’Artois ; et les membres de la cour des aides de Paris.

L’anoblissement graduel se fait lorsqu’un père puis un fils exercent la même charge, chacun pendant 20 ans et successivement afin de pouvoir léguer la noblesse parfaite à la 3e génération.

La charge de secrétaires du Roi pour la grande chancellerie de Paris ou les chancellerie de province. Elle procure un anoblissement complet qui s’assimile aux nobles de race en lui reconnaissant d’emblée le 4e degré de noblesse. C’est le cas de 900 secrétaires du Roi au 15e siècle. 

La noblesse militaire qui se pratiquait avant l’édit de 1750 et qui accordait la noblesse transmissible à tout office général et la noblesse graduelle à 3 générations successives de chevaliers de Saint Louis. 

Enfin il y avait la noblesse de cloche pour l’exercice de fonctions municipales. C’est le cas à Paris du Prévôts des marchands, des 4 échevins, du procureur du Roi, du greffier et du receveur de la ville. Mais c’est le cas également des maires d’Angers, Angoulême et Lyon et des 8 Capitules de Toulouse. 

b.     Les lettres d’anoblissement.

Les lettres d’anoblissement correspondent à l’anoblissement effectué par le prince. A l’époque moderne, c’est sous l’entier contrôle du Roi qui se réserve la possibilité de conférer la noblesse à des sujets ayant rendu service au pays. Il faut prouver ses mérites, trouver un intercesseur auprès du roi, payer cet anoblissement.

Pour tout le 18e, il y a environ 1000 lettres d’anoblissement, pour les historiens 66% des anoblissements se trouvent dans les mérites : militaires, membres de juridiction de 2e ordre, négociants, médecins, artistes, financiers. Les 33% restant dans la complaisance, cela s’explique par la proximité du bénéficiaire par rapport au Roi comme les gardes du corps, les officiers de la maisons du Roi. 

Après 1760, il y a une accélération du nombre d’anoblissements. Jusque 1760, la valeur militaire ou la fonction exercée compte. A partir de 1760, le mérite personnel importe, le pouvoir royal en donnant l’anoblissement assure la promotion de certains services officiellement peu reconnus avant tels les économistes et scientifiques. De 1760 à 1780, la société de la cour des aides enregistre 20 anoblissements d’artistes, musiciens, architectes... On remarque aussi l’anoblissement des médecins consultant du Roi.

2.     Les niveaux de fortunes.

En globalité, 20% de la propriété foncière appartient aux nobles. Cependant il y a des disparités entre les niveaux de fortune de la noblesse. Cela se voit au montant de “ la capitation ” impôt crée à la fin du 18e siècle auquel tous les français sont soumis proportionnellement au montant de leurs revenus. Les documents fiscaux nous montrent que l’on peut estimer que la noblesse est globalement taxée au 1/100e de son revenu. Ce qui nous permet d’estimer un revenu annuel. 

On trouve 5 groupes de fortune différentes. La grande noblesse de cour : ce sont ceux qui payent une capitation au moins égale à 500 livres car leur revenu annuel est de 5000 livres. On y trouve 80 familles de Ducs, de Paris et de France vivant à Paris ou à Versailles. Ils dominent de très loin par leur fortune tout le reste de la noblesse. 

La riche noblesse provinciale : la capitation se situe ente 100 et 500 livres, elle est composé en majorité par des membres des couronnes souveraines de provinces, des officiers supérieurs et des généraux de l’armée. Ces familles qui ont un revenu annuel de 3500 livres en moyenne, passe une partie de leur temps à Paris et l’autre dans leur domaine en province. 

La noblesse aisée qui paye une capitation de 40 à 100 livres, c’est une noblesse rurale ayant dans leurs châteaux une vie sans luxe mais confortable. Cela représente environ 700 familles. 

La noblesse modeste qui paye une capitation entre 10 et 40 livres : ils vivent de façon décente en évitant tout apparat. Ils se consacrent au domaine rural, ce sont souvent d’anciens militaires n’ayant pas réussi à atteindre des grades élevés. 

Enfin il y a la noblesse “ indigeste ” qui paye une capitation inférieure à 10 livres. Beaucoup n’ont pas de châteaux mais une ferme, leur seul richesse étant le blason familial. Les plus malheureux ont une vie misérable avec mendicité, et parfois emprisonnement pour dettes. Cette noblesse est cependant très représentée dans le Poitou et le Bourbonnais. 

On trouve respectivement 1%, 13%, 25%, 41%, 30% de nobles dans chaque catégorie. 

C.    La crise de l’identité nobiliaire.

Le 18e est le siècle nobiliaire car cet ordre tient une grande place au point de vue politique dans le pays. Mais on assisté à une crise morale car la pensée nobiliaire va se diviser. Une exaltation des différences : le second courant met l’accent sur la nécessité pour la noblesse de s’intégrer au reste de la nation. 

1.     L’exaltation des différences.

Ce courant traditionnel repose sur la croyance selon laquelle la noblesse a des vertus particulières soit en raison d’un principe biologique pour le mythe du sang bleu, soit en vertu de l’histoire. Ce courant met aussi l’accent sur le rôle de la noblesse pour freiner le progrès de la monarchie administrative, c’est le despotisme ministériel, et ceci au nom des libertés primitives de la noblesse.

a.     La réaction nobiliaire.

Les fonctions épiscopales sont entre les mains de la noblesse. Place de la noblesse au sommet de l’état dans le gouvernement : entre la mort de Louis XIV et 1789 seuls 3 roturiers d’origine ont accédés à des fonctions élevés : le Cardinal Dubois qui était ministre des affaires étrangères en 1718 et principal ministre en 1722 ; Scutive, lieutenant général de la police de Paris pendant 15 ans de 1759 à 1774 et Necker ministre des finances à la fin de l’Ancien Régime. 

La présence massive de la noblesse dans la haute administration c'est à dire dans les fonctions des maîtres de requêtes de l’hôtel du Roi. C’est parmi eux que le pouvoir royal choisi ses principaux  représentants envoyés dans toutes les provinces. 3% seulement sont roturiers de 1715 à 1774. 

Il y a aussi la place importante de la noblesse dans la haute magistrature, c’est variable d’une région à l’autre, d’un parlement à l’autre. On remarque qu’il n’y a que des nobles à Rennes, Toulouse, Paris, 25 % de roturiers à Besançon, 55% à Pau et sous Louis XVI que des roturiers à Colmar. 

La réglementation des honneurs de la cour date de 1759. C’est le triple privilège d’être présent auprès du Roi, monter dans les carrosses royaux, accompagner le Roi à la chasse. Pour l’obtenir, il faut prouver une ancienneté de noblesse antérieure à 1400. 

Il y a également la réglementation de l’accès à l’armée : la carrière militaire est la voie royale pour la noblesse. L’accès au grade d’officier, malgré la théorie de l’office, pendant longtemps a été ouvert aux roturiers qui pouvait peu à peu par leurs mérites s’élever. Mais au 18e siècle, la tendance est de réserver aux nobles les grades militaires les plus élevés.

Cela va se traduire en 1751 par le fait que l’école militaire de Paris nouvellement créée est réservée aux candidats pouvant prouver 4 degrés de noblesse paternelle. Et en 1781, l’édit de Ségur qui généralise les 4 degrés pour être sous-lieutenant sans passer par le rang. De ce fait, les roturiers et les nouveaux anoblis voient leur carrière militaire limitée au grade de capitaine. De même dans la marine, seuls les nobles les plus anciens sont admis dans les corps de combat. 

b.     La réaction seigneuriale.

Elle s’explique par l’effort de rentabilisation des domaines seigneuriaux, que les propriétaires développent surtout à partir de la seconde moitié du 18e siècle. Ces propriétaires sont tantôt nobles, bourgeois, tantôt ecclésiastiques ou laïcs. Ils vont tenter de lutter contre l’inflation et la hausse des prix qui se manifestent, ils vont pour cela utiliser diverses pratiques afin d’augmenter leurs revenus seigneuriaux. 

Ainsi les revendications des seigneurs portant sur les terrains commerciaux : les seigneurs veulent récupérer les terrains utilisés par l’usage collectif des populations paysannes, et réviser les registres des droits seigneuriaux. Ces documents parfois très anciens ont été perdus, alors au 18e siècle, les seigneurs décident de les faire à nouveau rédiger. Les feudistes vont donc faire des enquêtes afin de rétablir et rénover ces livres. 

2.     La substitution du “ mérite ” à la “ valeur ”.

La seconde tendance estime que la noblesse ne doit pas se différencier des autres ordres, mais au contraire se rapprocher du Tiers Etat et s’intégrer à la nation en formation. Ici, on considère que la noblesse la plus pure est celle qui prouve sa capacité professionnelle, ses mérites et non pas celle du sang. 

En comparant les effectifs globaux, on peut dire qu’il y a un renouveau de 25% de la noblesse au 18e siècle. En fait, on peut dire qu’il y a un rapprochement entre les valeurs véhiculées par la noblesse et celles véhiculées par le Tiers Etat : tous deux donnent une large place à l’ascension sociale faite par le mérite. La noblesse dans la nuit du 4 août 1789 renonce assez facilement à ses privilèges, cela serait le pont d’aboutissement logique d’une évolution des mentalités au sein de la noblesse.