LE BLOCAGE POLITIQUE

 

L'idée est qu'il existe une distorsion considérable à la fin de l'Ancien Régime entre les tentatives de réformes proposées par le pouvoir royal et le caractère très réduit des réalisations concrètes. Finalement, ce phénomène de blocage montre que la monarchie France a dès la fin 18e été dans l'impossibilité d'imposer les réformes élaborées. 

I. Le foisonnement des projets de réforme.

Beaucoup de réforme ont été imaginée à la fin de l'Ancien Régime. En matière économique, Turgot a tenté de réformer en séparant les corporations, il a essayé d'appliquer un programme de libéralisme économique en supprimant les droits de circulations des grains. Réforme juridique de Maupéou et Lamoignon ainsi qu'une réforme sociale qui abolit le servage dans les domaines royaux en 1779 et l'édit de tolérance de 1787. Enfin une tentative de réforme au début du règne de Louis XVI, cette réforme constituait un redécoupage qui simplifierait le système administratif, permettrait d'augmenter les recettes fiscales, et d'aller vers plus d'égalité fiscale.

Ce projet était bâti à partir des propositions élaborées par l'un des grands physiocrates: Dupont de Nemours auteur d'un ouvrage appelé "mémoire sur les municipalités". L'idée centrale de substituer aux anciens corps intermédiaires une hiérarchie d’assemblées élues par les propriétaires fonciers, ceci sans tenir compte de l'ancien système c'est à dire la notion d'ordre et de privilèges. La proposition de mettre en place toute une hiérarchie prévoit la mise en place d'une Assemblée Nationale à la fin de l'Ancien Régime, une assemblée provinciale qui aurait constitué un nouveau système politique. Le pouvoir royal n'arrivera pas à mettre en place cette réforme. 

II.    La modestie des réalisations.

1.     L’affaiblissement de l’autorité royale.

Toutes ces réformes ont échouées parce que le Roi n'a pas réussi à mener une politique ferme, à passer outre l'opposition des privilégiés. A la réforme véritable qui avait marqué le règne de Louis XIV et une partie de celui de Louis XV à succéder la réforme Ormite, petite réforme qu'on n'arrive pas à imposer avec le problème de l'instabilité ministérielle. 

Sous Louis XIV, les mis auxquels le roi accorde sa confiance reste en place pendant longtemps. 3 générations de la même famille se sont succédées au ministère de la guerre entre 1663 et 1701. Colbert lui même, a fait parti du conseil d'en haut sans discontinuer entre 1661 et sa mort en 1683. Sous Louis XV, au début de son règne, le contrôleur général des finances est resté pendant 15 ans entre 1730 et 1745. Sous Louis XVI, pour le seul poste de contrôleur général des finances, 11 titulaires successifs seront nommés entre 1774 et 1789, cela montre l'affaiblissement de l'autorité royale. 

Le caractère rationnel de ces réformes leur permettra de servir de modèles pour l'avenir pendant toute la Révolution. Durant le Consulat et l'Empire, certaines réformes seront inspirées de tous ces projets élaborés à la fin de l'Ancien Régime, c'est l'exemple de la réforme de Turgot et Dupont de Nemours qui est une base au découpage de la France en 1790. 

2.     La lutte entre les officiers et les commissaires.

L'affirmation croissante de la souveraineté monarchique a provoqué un renforcement des moyens de l'état et la mise en place d'une administration spéciale. Ces administrations ont été servies par tout un personnel de plus en plus importants au cours des siècles et on s'aperçoit que ce qui a primé est la notion de service du Roi à partir de laquelle s'est forgé historiquement la fonction publique dans notre pays. Il y a deux grandes catégories de serviteurs du Roi, les officiers et les commissaires. 

a.     Les officiers.

Le propre des officiers sous l'Ancien Régime est de bénéficier d'un véritable statut protecteur et permanent fixé par la voie d'ordonnance royale. Techniquement, les officiers sont nommés par une lettre appelée lettre de provisions d'office, qu'il s'agisse de l'administration générale, de la justice, des finances ou de l'armée. L'histoire des officiers se résument essentiellement dans les efforts qu'ils ont prodigués pour stabiliser leur situation. A l'origine, les officiers sont librement révocables par le Roi. Assez tôt; sous le règne de Louis XI, il a été décidé que les officiers resteraient en fonction soit jusqu'à leur mort, soit jusqu'à leur démission, soit jusqu'à un jugement de forfaiture. 

Dès la deuxième partie du 15e siècle, les officiers ont acquis leur inamovibilité, ils obtiendront successivement la véritable patrimonialité de leur charge, la vénalité puis l'hérédité de leur fonction. La vénalité, elle a été pendant longtemps occulté puis au début du 16e siècle, François 1er a rendu cette vénalité officielle, ceci dans une perspective fiscale. François 1er au moment des guerres d'Italie a crée en 1522 le bureau des parties casuelles qui sera chargé de vendre des offices vacants et les charges nouvelles. 

Quant à l'hérédité, elle sera obtenu au début du 17e siècle sous le règne d'Henri IV. La Paulette créé par un édit en 1604 est un système qui reconnaît l'hérédité de la charge dans la mesure où le titulaire actuel de l'office paye chaque année une taxe égale à 1/60e  de la valeur de l'office pour éviter la clause de 40 jours. L'opportunité d'apporter l'hérédité aux offices a été très discuté en conseil du Roi, mais les partisans de l'hérédité l'on emporté. Certains avaient peur de rendre l'affaire, grâce à l'hérédité, trop indépendante à l'égard du pouvoir royal. Le renouvellement devait se faire tous les 9 ans mais en pratique, l'histoire de l'office montre que le système de la Paulette sera reconduit tous les 9 ans jusqu'à la fin de l'Ancien Régime. 

b.     Les commissaires.

Moins nombreux que les officiers, ils sont nommés par des lettres de commissions et ils représentent le type le plus ancien et le plus pur de la délégation de la fonction publique. Les commissaires sont véritablement les agents à la discrétion du pouvoir royal: cela veut dire qu'à l'image des préfets, les commissaires exercent des fonctions temporaires et sont toujours révocables. Les fonctions les plus sensibles dans l'administration du pays seront toujours confiés à ce type de personnes telles les secrétaires d'état, les premiers présidents des cours souveraines, les gouverneurs, les intendants. 

Les intendants seront installés progressivement dans les différentes provinces du royaume. A l'origine de cette institution se trouve la nécessité qu'a éprouvé la monarchie de contrôler tous ces agents locaux. Les nécessités de surveiller la mise en place des institutions notamment fiscales et de permettre l'intégration dans le domaine royal des différents pays réunis. La mise en place effective des intendants à eu lieu au 17e entre 1630 et 1660 à partir du règne personnel de Louis XIV, l'institution a atteint sa période de maturité et d'apogée pendant environ une centaine d'années.

L'intendant est à la fois l'homme du roi dans sa circonscription, mais aussi l'homme qui doit représenter les voeux de la population jusqu'au niveau du conseil du Roi. Concrètement, les intendants sont choisis en général au sein de la robe du conseil c'est à dire parmi les maîtres des requêtes de l'hôtel du Roi. L'intendant ne dépend que du Roi et de son conseil, il n'a pas à rendre de compte notamment aux cours souveraines c'est à dire les parlements. Dès les origines, on constate une lutte farouche locale entre les parlements et les intendants. 

Il n'est pas rare que les intendants restent longtemps en fonction dans leur généralité. La circonscription ordinaire de l'intendant est précisément la généralité qui est avant tout une circonscription fiscale: l'un des buts poursuivis par la monarchie a été d'améliorer le système fiscal. Le nombre des intendants se stabilisera à 34. En réalité, il y a en France 26 généralités administrées, 25 intendants auxquels on ajoute 8 intendants simples pour les pays (régions) d'annexions récente, cas particulier de Paris. 

Les circonscriptions sont assez étendues et correspondent à 3 ou 5 départements actuels. Le moyen des intendants est réduit, ils disposent d'un représentant, une sorte d'adjoint, un subalterne délégué. Il y a un certain nombre de bureau de l'intendance avec un personnel réduit pour le 18e. Des dizaines de personnes pour Bordeaux, personnes qui constituent un noyau administratif qui est à l'origine de l'administration préfectorale qui sera crée à l'époque du Consulat.

Les nominations des intendants se font par lettres de commission, détail des attributions. Les intendants doivent veiller au maintien de l'ordre. Il sont en fait intendants de justice, de police, de finance, commissaire déporté de la généralité, ceci pour l'exécution des ordres du rois. 

En matière de justice, l'intendant exerce comme une sorte de contrôle sur le bon fonctionnement des institutions juridiques, tout dépend de la relations avec les parlements locaux qu'il contrôle. Il a un pouvoir en matière de lutte contre la rébellion, émeutes et révoltes fiscales. L'intendant est juge de droit commun en matière administrative. Il existe des cours d'intendance, ancêtre des cours de préfecture donc des tribunaux administratifs. En matière de police, sous l'Ancien Régime, la police est une notion très large par rapport à aujourd'hui. Elle équivaut au maintien de l'ordre, mais aussi à administrer au sens large telle la tutelle sur les villes des intendants. En matière financière, elle concerne beaucoup l’impôt mais surtout les impôts nouveaux telle la capitation.

De plus on remarque le poids réel de l'intendant sous l'Ancien Régime. L'intendant est un homme du roi et un homme de la généralité. Le poids politique de l'intendant est une fonction de l'autorité royale. Il a un pouvoir royal très fort, l'intendant personnifie cette force. Dès qu'il y a une baisse de l'autorité royale à partir de 1760, elle répercute sur celle des intendants. Intendants et une institution clef de l'Ancien Régime, une clef de voûte du système de décision locale, le conseil du Roi ne peut prendre de décision locales sans avoir consulté l'intendant de la généralité. L'intendant est l'ancêtre de l'institution préfectorale. 

3.     La rébellion des cours souveraines.

Les parlements sont au sommet de la juridiction notamment royale, ils ont des attributions en matières administratives égales aux arrêts de règlements et surtout des attributions législatives ou politiques. Les parlements sont associés depuis le MA au pouvoir législatif du Roi. Quand le Roi est son conseil élaborent un acte législatif tel une ordonnance ou un édit ; cet acte ne peut recevoir d'application concrète que s'il est enregistré par chaque parlement. Chaque parlement était libre d'enregistrer ou non, c'était un droit de vérification exercé par les parlements, ils considèrent qu'ils ont la possibilité avant tout enregistrement de discuter de l'opportunité de la législation en égard de son application locale: conception féodale avec l'application du devoir de conseil féodal. 

Souvent les parlements ne sont pas d'accord avec le Roi, ils lui envoient des lettres de remontrance lui expliquant ce pourquoi ils n'enregistrent pas l'acte. Le Roi peut en tenir compte en modifiant ou en retirant le texte, mais si sa volonté est de maintenir le texte, il envoie une lettre de jussion dans laquelle il maintient sa décision et fait une nouvelle demande d'enregistrement. Le parlement enregistre ou persiste. S'il résiste, il envoie une lettre d’itérative remontrance, cela peut durer longtemps mais tout dépend de l'autorité du Roi. En effet ce dernier peut aller au parlement en disant: "je suis présent", le pouvoir appartenant au roi, il peut imposer le texte, il détient le lit de justice. Aussi les parlements adoptent le texte, mais ils ne sont toutefois pas obliger de l'appliquer. 

L'échec des parlements et la reprise en main par Louis XIV par une série de mesures qui musellent les prétentions politiques des parlements. Ainsi il a retiré aux parlements le titre de cour souveraine en le remplaçant par cour supérieure. Dans l'ordonnance civile de 1667, il est prévu que les remontrances ne peuvent se faire qu'une fois, dans un délai bref compris entre 8 jours et 6 semaines selon l'éloignement du parlement. La déclaration royale de 1673 supprime les remontrances préalables.

Mais à la mort de Louis XIV en 1715, le régent Philippe d'Orléans a eu besoin du parlement de Paris pour casser le testament de Louis XIV en limitant ses pouvoir. Le parlement casse mais en contrepartie, leurs anciens pouvoirs sont rétablis. Les parlements reprennent une politique d'obstruction systématique aux grandes réformes royales. Ils s'opposent à toutes les réformes fiscales. 

A la fin de l'Ancien Régime, le pouvoir royal se rend compte qu'il faut se débarrasser des parlements avec en 1766 une séance dite de la flagellation. Louis XV est venu au parlement de Paris et a rappelé aux juges le droit royal, le pouvoir du parlement est un pouvoir délégué d'une puissance souveraine, le pouvoir législatif appartient au roi uniquement. Les parlements n'en tiennent pas compte. En 1771, réforme du Chancelier Maupéou au terme de laquelle est démantelé le ressort du parlement de Paris en étant divisé en 6 tribunaux, 6 cours supérieurs. Tous les magistrats qui s'opposent au pouvoir royal seront suspendus de leur fonction. Les parlements se voient retirer toutes attributions politiques. Le pouvoir royal supprime la vénalité des offices. Dans les 3 dernières années de son règne Louis XV a pu gérer totalement la situation, mais en 1774 Louis XVI arrive au pouvoir à 20 ans, il annule la réforme et rétablit les parlements dans leurs anciennes prérogatives. Il s'oppose à toute réforme et bloque le système.