LES CREANCIERS PENDANT LA PERIODE D'OBSERVATION

 

Au cours de la période d’observation, les créanciers de l’entreprise dont la créance est née après le jugement d’ouverture sont mieux traités que les créanciers dont la créance est née avant le jugement d’ouverture.

 

Deux raisons expliquent essentiellement cette prééminence des créanciers postérieurs sur les créanciers antérieurs :

1)     les créanciers doivent être encouragés à contracter avec l’entreprise dont on connaît officiellement les difficultés, sinon personne n’accepterait de lui faire confiance, donc crédit ;

2)     le paiement du passif antérieur au jugement d’ouverture doit être momentanément gelé, c’est à dire suspendu, ainsi que les poursuites des créanciers, pour permettre à l’entreprise de maximiser ses chances de redressement et rendre le paiement des créanciers plus équitable.

 

I.              Les créanciers antérieurs au jugement d’ouverture.

Les créanciers dont la créance est née avant le jugement d’ouverture sont soumis à diverses obligations.

 

A. La déclaration des créances.

 

·      Principes.

Les créanciers ordinaires comme les titulaires de sûretés doivent déclarer leur créance au représentant des créanciers (art. L50) dans les 2 mois de la publication du jugement d’ouverture au BODACC. La déclaration peut être faite par le créancier ou par tout préposé ou mandataire de son choix.

 

Les créances non déclarées dans le délai sont éteintes, sauf relevé de forclusion accordé par le juge commissaire si le créancier établit que sa défaillance n’est pas due à son fait. L’action en relevé de forclusion est ouverte pendant un an après le jugement d’ouverture.

 

Cependant, la forclusion n’est pas opposable aux créanciers suivants s’ils n’ont pas été avertis personnellement dans les 15 jours par le représentant des créanciers, de l’obligation de déclarer leurs créances : créanciers titulaires de sûretés ayant fait l’objet d’une publication et créanciers titulaires d’un contrat de crédit bail publié. L’extinction d’une créance libère les cautions qui la garantissaient (Cass. Com. 17.07.1990), le cautionnement n’étant que l’accessoire à l’obligation principale.

 

Parallèlement à la déclaration des créances, le débiteur doit remettre dans les 8 jours qui suivent le jugement d’ouverture la liste certifiée de ses créanciers et du montant de ses dettes au RC. Celui-ci dépose la liste au greffe (Art. L52).

 

Le représentant des créanciers procède à une première vérification des créances ; s’il y a discussion sur tout ou partie d’une créance, il doit en aviser le créancier intéressé en l’invitant à faire connaître ses explications. Celui-ci doit répondre dans les 30 jours sinon la proposition que fera le représentant des créanciers au juge commissaire ne pourra plus être contestée.

 

·      Exceptions.

Les salariés n’ont pas à déclarer individuellement leur créance. C’est le RC qui établit le relevé des créances salariales qu’il soumet au représentant des salariés (RS).

 

                Les obligataires échappent aussi à l’obligation puisque la déclaration de leur créance doit être faite par le représentant de la masse des obligataires.

 

                Le Trésor Public et la Sécurité Sociale déclarent leur créance à titre provisionnel et pourront, après le délai imposé déclarer d’autres créances – à la suite d’un redressement fiscal par exemple.

 

B. L’arrêt des poursuites individuelles.

                Selon l’art. 47, le jugement d’ouverture du redressement judiciaire suspend ou interdit toute action en justice de la part de tous les créanciers dont la créance a son origine antérieure dudit jugement et tendant exclusivement :

·      Soit à la condamnation du débiteur au paiement d’une somme d’argent (exception : les instances en cours devant la juridiction prud’homale sont poursuivies).

·      Soit à la résolution d’un contrat pour défaut de paiement d’une somme d’argent.

 

Le jugement d’ouverture arrête ou interdit également les voies d’exécution (saisies) de la part de ces créanciers sur les meubles et les immeubles du débiteur.

 

Les instances en cours sont suspendues (à l’exception mentionnée des instances prud’homales) jusqu’à ce que le créancier poursuivant ait procédé à la déclaration de sa créance. Elles sont alors reprises de plein droit, mais tendent uniquement à la constatation des créances et à la fixation de leur montant.

 

De même, le jugement d’ouverture du redressement judiciaire suspend toute action contre les cautions personnelles personnes physiques (exemple : le dirigeant de la personne morale débitrice) et ce, jusqu’au jugement arrêtant le plan de redressement ou prononçant la liquidation.

 

Le tribunal peut ensuite accorder à ces cautions des délais ou un différée de paiement dans la limite de 2 ans. Les créanciers bénéficiaires de ces cautionnements peuvent toutefois prendre des mesures conservatoires (Art. L55). On notera qu’avec la loi du 10.06.1994, les cautions personnes physiques sont à cet égard mieux traitées qu’auparavant.

 

 

C. L’arrêt du cours des intérêts.

                Le jugement d’ouverture du redressement judiciaire arrête le cours des intérêts légaux et conventionnels, ainsi que les intérêts de retard et les majorations (Art. 55 al. 1). La Cour de Cassation (Com. 11.07.1995) précise que ces dispositions ne s’appliquent qu’aux intérêts des créances dont l’origine est antérieure au jugement d’ouverture.

 

                Par exception, la règle ne s’applique pas aux intérêts résultant de contrats de prêts conclus pour une durée égale ou supérieure à un an ou de contrats assortis d’un paiement différé d’un an ou plus. Ces intérêts continuent dont à courir malgré le jugement d’ouverture. L’arrêt du cours des intérêts ne profite pas aux cautions et co-obligés (ces personnes ne peuvent pas s’en prévaloir).

 

 

D. L’absence de déchéance du terme.

                Le jugement d’ouverture du redressement judiciaire ne rend pas exigibles les créances non échues à la date de son prononcé (Art. 56). Toute clause contraire est réputée non écrite. Selon la jurisprudence, la déchéance du terme ne peut pas, non plus, être prononcée à l’encontre de la caution.

 

 

E. L’interdiction des inscriptions.

                Après le jugement d’ouverture du redressement judiciaire, les créanciers ne peuvent plus inscrire les hypothèques, nantissements et privilèges. Si une inscription est néanmoins prise, par exemple par le conservateur des hypothèques, elle sera annulée (Art. 57).

 

                Toutefois, le Trésor Public conserve son privilège pour les créances qu’il n’était pas tenu d’inscrire à la date du jugement d’ouverture et pour les créances mises en recouvrement après cette date si elles sont régulièrement déclarées. Par dérogation, le vendeur du fonds de commerce peut inscrire son privilège dans les 15 jours de la vente selon l’art. 2 de la loi du 17 mars 1909.

 

 

CREANCES ANTERIEURES AU JUGEMENT D’OUVERTURE

Situation comparée du débiteur et de la caution.

 

 

DEBITEUR

CAUTION

Libération en cas de créance non-déclarée dans les délais

 

OUI

 

OUI

 

Arrêt des poursuites individuelles (action en justice, voies d’exécution)

 

OUI

 

OUI

(si personne physique)

Arrêt du cours des intérêts

 

OUI

 

NON

 

Absence de déchéance du terme

 

OUI

 

OUI

 

 

 

II.            Les créanciers postérieurs au jugement d’ouverture.

Rappel : pendant la période d’observation, un créancier ne peut se faire consentir une hypothèque ou un nantissement (sauf autorisation du juge-commissaire).

 

 

A. La priorité de l’art. 40.

                L’article 40 accorde une priorité aux créanciers postérieurs sur les créanciers antérieurs au jugement d’ouverture en cas de cession totale et en cas de continuation.

 

                En cas de liquidation judiciaire cependant, les créanciers antérieurs sont mieux traités lorsqu’ils sont titulaires d’une sûreté spéciale.

 

·      Conditions.

Pour bénéficier de la priorité de l’art. 40, les créances doivent être nées régulièrement (l’engagement a été pris par l’administrateur judiciaire ou par le débiteur pour servir l’intérêt de l’entreprise) et après le jugement d’ouverture (le fait générateur est postérieur au jugement). Exemple : le prêt bancaire autorisé par le juge-commissaire, octroyé pour faciliter le redressement.

 

·      Effets.

ð Les créances postérieures au jugement d’ouverture doivent être payées à leur échéance, en cas de poursuite de l’activité, si toutefois, il y a des fonds disponibles : garantie de date ; elles n’ont pas à être déclarées. En cas de non-paiement, elles n’ont pas à être soumises à l’interdiction des poursuites individuelles : l’exercice des voies d’exécution est possible dans les conditions de droit commun.

 

ð En cas de cession totale ou, lorsqu’elles ne sont pas payées à l’échéance, en cas de continuation, elles sont payées dans l’ordre indiqué ci-dessous, par priorité à toutes les autres créances, assorties ou on de privilèges ou sûretés, à l’exception des créances salariales superprivilégiées : priorité de rang.

 

ð En cas de liquidation judiciaire, elles sont payées dans l’ordre indiqué ci-dessous par priorité à toutes les autres créances, à l’exception de celles qui sont garanties par le superprivilège des salariés, frais de justice et des créances, pourtant antérieures au jugement d’ouverture, mais garanties par des sûretés immobilières ou mobilières, spéciales assorties d’un droit de rétention ou consistant dans un nantissement de l’outillage et du matériel d’équipement.

 

B. Le classement des créanciers postérieurs entre eux.

                Les créanciers prioritaires de l’art. 40 sont classés entre eux par cet article et sont donc payés dans l’ordre suivant :

1)     Les créances salariales qui n’ont pas été prises en charge par l’AGS (association pour la gestion du régime d’assurance des créances de salaires) et qui correspondent à des prestations de travail effectuées après le jugement d’ouverture ;

2)     Les frais de justice.

3)     Les prêts des établissements de crédit et les créances résultant de la continuation des contrats en cours, en application de l’art. 37 et dont le cocontractant a accepté de recevoir un paiement différé

4)     Les créances salariales payées par l’AGS dans la limite d’un plafond d’un mois et demi de salaire (d’où le premier rang pour les créances salariales dépassant ce plafond).

5)     Les autres créances, selon leur rang (contrats nouveaux, impôts, cotisations sociales)…

 

Les créances non payées au titre de l’art. 40 font l’objet d’une liste établie par l’administrateur, le débiteur ou le liquidateur, et déposée au greffe 3 mois après l’expiration de la période d’observation. Les contestations relatives à l’établissement de cette liste doivent être faites au greffe dans les 2 mois par les créanciers intéressés.

 

Au cours de la période d’observation du redressement judiciaire, les créanciers antérieurs au jugement d’ouverture doivent, à peine d’extinction de leurs créances, déclarer celle-ci dans les deux mois.

Le jugement d’ouverture entraîne l’arrêt de leurs poursuites individuelles, l’arrêt du cours des intérêts et l’interdiction des inscriptions, mais ne rend pas exigibles les créances non échues.

Les créanciers postérieurs au jugement d’ouverture bénéficient de la priorité de l’art. 40 qui leur permet d’être payés à l’échéance prévue ou, à défaut de fonds disponibles, par référence aux autres créanciers titulaires ou non de privilèges ou sûretés, (sauf en cas de liquidation), à l’exception cependant des créances salariales superprivilégiées.